Le saviez-vous ? Roscoff - La Mecque de la biologie marine !!!

Roscoff : La Mecque de la biologie marine
- Où implanter ce diffractomètre à rayons X dédié à l'étude structurale des enzymes ?
- Où loger les étudiants et les chercheurs de passage qui ne cessent d'affluer ?
- Où installer une salle de conférence de capacité internationale ?
- Comment faire de la place pour accueillir de nouveaux laboratoires ?
- Comment financer cette croissance ?
- Où ? Comment ? Où ?…
L'aquarium-musée Charles Pérez,
qui constitue la partie tout public
de la station biologique de Roscoff.
© R. Lamoureux/CNRS Photothèque
Bernard Kloareg se sent à l'étroit. Il cherche sans cesse de l'espace. Les vénérables murs de granite, qu'il adore pourtant, de la station biologique de Roscoff 1, créée en 1872 par Henri de Lacaze-Duthiers, professeur de zoologie à la Sorbonne, ne sont pas élastiques et lui pèsent parfois. Directeur depuis 2004 de cet observatoire océanologique qui compte aujourd'hui 170 personnes, Bernard Kloareg est persuadé que tout organisme qui n'évolue pas finit par régresser. Alors, il entend être l'homme qui aura pérennisé le nouveau virage pris par l'institut, celui de l'étude des fonctions des organismes marins par les approches réunies sous le terme de génomique.
Voilà pourquoi, responsable d'un budget annuel consolidé de 9 millions d'euros, il veut doubler les capacités de cette Mecque de la biologie marine qu'est la station biologique de Roscoff, et en faire, d'ici à 2015, « le leader des stations marines en Europe, un centre d'accueil scientifique et pédagogique international, un nœud de l'organisation de la recherche marine en Bretagne, le pivot d'une zone de développement économique en biotechnologies et pour l'étude des molécules bioactives… » L'Europe, la région Bretagne et le conseil général du Finistère ont reçu son message cinq sur cinq. Ils soutiennent financièrement de nombreux projets de recherches et une partie des installations nouvelles, car Bernard Kloareg projette de rénover, notamment l'aquarium, d'acheter des bâtiments dans Roscoff, notamment un hôtel, et de faire construire d'autres laboratoires.
Si Roscoff attire comme un aimant les biologistes marins depuis près d'un siècle et demi, c'est que ce splendide segment rocheux de la côte bretonne, situé à l'embouchure de la rivière de Morlaix et bordé par l'île de Batz, présente à leurs yeux, selon André Toulmond, le prédécesseur de Bernard Kloareg, trois atouts décisifs.
- Un : « Il existe ici, dans un espace de trois kilomètres sur trois, une diversité faunistique et algologique considérable liée à la grande diversité des biotopes. On y a recensé pas moins de 800 espèces d'algues et 4 000 espèces animales. »
- Deux : « Les basses mers de vives-eaux, qui donnent accès à un maximum de biotopes, interviennent, de jour, entre 12 h et 15 h, ce qui est favorable pour la récolte et le travail de terrain, même en hiver. »
- Trois : « Depuis 1870, on peut venir de Paris à Morlaix par le train de nuit. Résultat, huit biologistes français sur dix sont passés par Roscoff. Aujourd'hui, 900 à 1 000 étudiants par an, français et étrangers, viennent en stage ici. » Ici donc, les recherches vont bon train.
© Photos : R. Lamoureux/CNRS Photothèque Aquarium de recherche de la station biologique de Roscoff.
Par exemple, l'équipe « Plancton océanique » de Daniel Vaulot, du laboratoire « Adaptation et diversité en milieu marin » 2, étudie en particulier le picoplancton, constitué de cellules ayant une taille inférieure à 2 ou 3 micromètres. Dans cette « soupe », ils ont déjà mis en évidence d'étranges êtres comme le Picophage, le plus petit prédateur connu, ou encore les Bolidophycées que leurs deux flagelles (longs filaments mobiles) propulsent à un millimètre par seconde, performance comparable à celle d'un homme qui franchirait 1 500 mètres dans le même laps de temps !
Mais la créature qui fascine le plus Frédéric Partensky, chercheur, c'est sans conteste Prochlorococcus, le plus petit – un demi-micromètre ! – mais le très abondant habitant photosynthétique de l'océan mondial. Cet organisme cellulaire sans noyau (procaryote) fait partie du groupe des Cyanobactéries, responsables, il y a 2,5 milliards d'années, d'un enrichissement massif de l'atmosphère en oxygène, ce qui a permis la prolifération de la vie sur Terre. Les Prochlorococcus figurent souvent au menu du boulimique Picophage. Performance inouïe, ce minuscule prédateur et d'autres congénères non moins voraces, bien qu'à peine plus gros que Prochlorococcus, parviennent à maintenir stable les concentrations cellulaires de ce dernier, qui pourtant se reproduit quotidiennement et de façon synchrone ! Ils ont fort à faire, car on estime que cent millions de tonnes de carbone organique seraient dues au seul genre Prochlorococcus !
L'équipe de Daniel Vaulot cultive aussi quelque 800 autres souches d'organismes de picoplancton. Une richesse fabuleuse en termes de réserve de gènes et de biomolécules qui ne demande qu'à être décryptée. Séquençage de génomes, sondes à ARN ribosomal, cytométrie en flux, analyse des pigments par chromatographie, tout est mis en œuvre à Roscoff pour percer les secrets intimes du picoplancton. Pour appréhender la biodiversité marine, la biologie dispose donc de nouveaux outils qui permettent non seulement de séquencer les génomes mais, au-delà, d'aborder le monde encore largement inexploré des biomolécules, particulièrement foisonnant chez les algues. Qu'elles soient microscopiques, macroscopiques, voire géantes, comme les Macrocystis de la zone subantarctique, bleues, vertes, brunes ou rouges, les algues ont, au cours de l'évolution, développé un éventail de protéines d'une très grande richesse. Un vivier dans lequel les biologistes de l'unité « Mer et Santé » 3 espèrent bien pêcher quelques molécules bioactives (voir l'article sur les travaux de Laurent Meijer dans notre n° 180, janvier 2005, p. 26).
Au sein du laboratoire « Végétaux marins et biomolécules » 4, dirigé par Catherine Boyen, les modèles étudiés sont les Phéophycées, ou algues brunes, et les Rhodophycées, ou algues rouges. Hôtes les plus visibles et les plus abondants des écosystèmes côtiers, omniprésentes à Roscoff, elles ont émergé dans l'évolution au moment de la période de diversification intense des eucaryotes, ces êtres uni- ou pluricellulaires dont les chromosomes sont enfermés dans un noyau. Adaptées au milieu marin, elles diffèrent beaucoup des plantes terrestres. L'étude de leur panoplie moléculaire est donc très prometteuse, tant sur le plan fondamental que des applications industrielles possibles. Ces recherches en génomique sur les algues sont donc très soutenues aujourd'hui, par le réseau d'excellence européen « Marine Genomics Europe » et par le Centre national de séquençage (Génoscope), qui vient d'accorder à Mark Cock le séquençage du génome complet d'une algue brune modèle, un projet qui coûte la bagatelle de 4 millions d'euros. Une des voies les plus prometteuses suivies par les chercheurs de ce labo est l'étude des réactions de chimie enzymatique, véritable système d'immunité inné que les algues mettent en place pour se défendre après les attaques des brouteurs et des divers pathogènes. Une réaction immédiate, qu'elles renforcent durant les six heures qui suivent l'agression. Il en va ainsi chez les algues rouges comme Chondrus crispus, chères à Jean-Pierre Salaün. « Algues rouges et mammifères : même combat, constate ce chercheur. Quand elles sont attaquées, elles produisent les mêmes composés oxylipidiques (lipides oxydés) que les animaux au cours de la réaction inflammatoire, c'est-à-dire des prostaglandines et des leukotriènes. Mais, en plus, elles génèrent des substances identiques à celles que synthétisent les plantes terrestres au cours d'un stress. » « Notre objectif, reprend Jean-Pierre Salaün, également impliqué dans le projet « Cancéropole Grand-Ouest » 2003, est de rechercher les propriétés antitumorales de ces oxylipines des algues. En plus, nous pensons qu'elles peuvent empêcher la prolifération des adipocytes (cellules graisseuses). »
Les algues brunes, comme les grandes Laminaires, omniprésentes sur les rochers bretons ne se découvrant qu'à marée basse, ne sont pas en reste. Elles aussi produisent à tout va des molécules de défense. Philippe Potin et Catherine Leblanc étudient en particulier la production par ces algues de composés carbonés iodés et bromés. Ces composés volatils ont un double effet : ils sont à l'origine de la subtile et vivifiante odeur d'iode que l'on respire sur les côtes bretonnes, mais ont aussi un impact sur la chimie de l'atmosphère. La caractérisation des enzymes responsables de ces transferts d'iode et de brome ainsi que le « profilage métabolique » des réactions en cascade qui aboutissent à l'émission de ces molécules de défense – que les chercheurs appellent aujourd'hui le métabolome – occupent une grande part du temps de l'équipe « Défense des algues » qu'orchestre Philippe Potin. Un chercheur toujours prêt à donner de son temps pour populariser la recherche qui se fait ici. William Helbert, biochimiste, étudie, lui, la structure des polysaccharides marins, et la matière première ne manque pas. « Ces macromolécules sont les éléments structuraux majeurs de la paroi des algues. Les carraghénanes des algues rouges et les alginates des algues brunes sont utilisés depuis longtemps, essentiellement dans l'industrie agroalimentaire. Nous tentons d'en déterminer les structures et d'en analyser les propriétés physicochimiques, puis de les “manipuler” avec l'aide des enzymes, par exemple pour les faire passer de l'état d'un gel fluide à un gel plus consistant », explique-t-il.
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Cette approche très moléculariste des algues avait permis à Bernard Kloareg, avant qu'il ne devienne directeur de la station, et à son équipe, en particulier Philippe Potin et Tristan Barbeyron, de tirer profit de la capacité qu'ont certains oligosaccharides des algues de stimuler les défenses des végétaux. Partant de cette propriété dite « élicitrice » des petits ou moyens produits de la dégradation de grosses molécules extraites des algues, il a mis au point, avec la société Goëmar 5 de Saint-Malo, un « vaccin des plantes », aujourd'hui commercialisé sous l'appellation « Lodus 40 ». Première application : la stimulation des défenses du blé. Mis sur le marché en 2003, il a été utilisé sur 150 000 hectares en 2004. Pour aller plus loin dans la compréhension des fonctions des grosses molécules que les algues mettent en œuvre pour vivre et survivre, il faut démonter pièce à pièce ces longues chaînes carbonées et en comprendre la structure spatiale, qui joue un rôle crucial dans leur activité.
C'est particulièrement vrai pour les enzymes qui, selon les besoins, en favorisant la synthèse des macromolécules du vivant ou, à l'inverse, en les dégradant, accélèrent les réactions chimiques incessantes du métabolisme des organismes. L'outil idéal pour réaliser cette cartographie 3D des enzymes, c'est la cristallographie. Une technique lourde qui, autrefois réservée à des labos spécialisés, doit aujourd'hui se rapprocher des biologistes.
qui dégrade l'iota-carraghénane, présent dans les parois d'algues rouges.
Voilà pourquoi Bernard Kloareg et Catherine Boyen ont convaincu Mirjam Czjzek de rejoindre Roscoff, pour y développer et vulgariser cette technique. Arrivée de Marseille en février dernier, elle s'acclimate à la Bretagne et aux us et coutumes de la station. Un diffractomètre à rayons X va donc être implanté dans la station. Coût : 600 000 euros, financés aux deux tiers par la région Bretagne et le conseil général du Finistère, et pour un tiers par le CNRS. Décidément, la biologie frise la science lourde. Reste à trouver un endroit où installer ce sacré instrument. Bernard Kloareg a sa petite idée…
Hervé Ponchelet
Pour en savoir plus >>> www.sb-roscoff.fr
Un ver donneur universel « Capital-risque », « plan de financement », « phase préclinique », « production en masse »… des expressions que l'on s'attend peu à entendre dans un laboratoire de recherche fondamentale, et encore moins dans la bouche d'un chercheur qui s'intéresse à une bestiole comme Arenicola marina, l'Arénicole ou ver des pêcheurs. Et pourtant, c'est bien ce qui se passe dans le laboratoire de Franck Zal, chargé de recherche responsable de l'équipe « Écophysiologie : adaptation et évolution moléculaires »1 de Roscoff. Partant d'une particularité de l'hémoglobine extracellulaire de ce ver marin, abondant sur les plages de Roscoff, découverte voici trois ans par André Toulmond et François Lallier, qui la rend compatible avec le sang humain, quel que soit son groupe, il veut produire un substitut sanguin pour la transfusion humaine. Un secteur qui, fondé sur le don, manque cruellement de « matière première » ; la pénurie au niveau mondial est ainsi estimée à cinquante millions de litres par an. Dûment brevetée, cette découverte réclame, pour franchir les obstacles des essais cliniques, puis ceux de la mise au point et du développement des techniques de production en masse, des moyens financiers hors du commun pour un laboratoire de recherche fondamentale. Pour franchir les phases 1, 2 et 3 de la fameuse AMM (autorisation de mise sur le marché), ne faut-il pas débourser plus de 20 millions d'euros ? Alors, Franck Zal a décidé de se jeter à l'eau. Il souhaite créer une société émergente qui va prendre le relais et pousser le plus loin possible l'aventure. Son dossier est en bonne place dans le pôle de compétitivité Mer, récemment soumis aux ministères compétents. Sans attendre, Franck Zal travaille déjà avec une firme de Newcastle spécialisée dans l'aquaculture des Arénicoles à destination de la pêche sportive. Pour obtenir l'équivalent en hémoglobine d'une poche de sang, il faudra, en effet, disposer de 200 à 300 vers. Autre piste explorée en parallèle : celle du clonage du gène de l'hémoglobine de l'animal marin dans une bactérie. Une aventure de notre temps, que l'on pourrait intituler Le sang de la mer. H. P. 1. Laboratoire CNRS / Université - Paris-VI. Contact : Franck Zal, zal@sb-roscoff.fr
2. Laboratoire CNRS / Université Paris-VI.
3. Laboratoires CNRS / Université Paris-VI.
4. Laboratoire CNRS / Université Paris-VI.
5. Voir Le journal du CNRS n° 157-158, janvier-février 2003.
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