Les plantes en thalasso
par Loïc Chauveau
En renforçant les défenses immunitaires des cultures,
une pâte à base d'algues permet d'éviter le recours aux pesticides usuels
Voilà maintenant la thalasso pour les plantes: le ministère de l'Agriculture vient d'autoriser la mise sur le marché d'un pesticide issu des algues marines. Une grande première dans la protection des récoltes. Ce produit, mis au point par une PME bretonne, Goëmar, et par le laboratoire du CNRS de Roscoff (Finistère), est un «stimulateur de défense» efficace contre les septorioses et l'oïdium du blé, maladies produites par des champignons qui s'attaquent aux feuilles, et contre le piétin verse, qui affaiblit la base de la tige des céréales. «Pour l'agronomie, c'est une nouvelle porte qui s'ouvre», assure Bernard Kloareg, chercheur au CNRS.
Jusqu'ici, pour lutter contre les maladies des plantes, l'agriculteur avait trois solutions. Méthode la plus radicale et la plus usitée: les pesticides issus de la pétrochimie. Dangereuses pour la santé humaine, nocives pour l'environnement en tant qu'agents de pollution des eaux, ces molécules chimiques sont de plus en plus mises à l'index. Ainsi, l'an prochain, l'atrazine, herbicide épandu sur le maïs, sera interdite à cause de sa toxicité. Les agriculteurs sont par ailleurs incités à réduire les doses. Ces produits sont en effet difficilement dégradables et se retrouvent tout au long de la chaîne alimentaire. Ces molécules ont été retrouvées récemment dans du lait maternel.
La plante reconnaît cette substance comme un agresseur,
et se défend par un signal chimique
La lutte biologique promeut des traitements plus raisonnés. Il s'agit de confronter le ravageur à son prédateur habituel, ou de trouver un biocide, molécule présente dans la nature et efficace contre la maladie. Ainsi, depuis une dizaine d'années, plus de 10% de la surface plantée en maïs est protégée de la chenille de la pyrale par la dissémination de trichogrammes, minuscules insectes qui se régalent des œufs de ce ravageur. Ces animaux tuent 75% des populations de pyrales, soit autant qu'un insecticide chimique. Depuis peu, l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) utilise un insecte qui parasite les larves de la cicadelle, un ravageur des arbres fruitiers. Problème: cet insecte, comme son prédateur, sont des organismes nouvellement introduits dans nos contrées. Espèces américaines, elles étaient inconnues en Europe jusqu'en 1985. On ignore donc les conséquences de l'arrivée de ce nouvel insecte sur l'environnement. Dernière technique: les OGM (organismes génétiquement modifiés). Ils améliorent la résistance de la plante par la modification de son patrimoine génétique. Mais ils comportent un risque: les possibles croisements avec des plantes non transgéniques.
Comme les OGM, la stimulation des défenses par les algues ne s'attaque pas au parasite proprement dit, mais augmente la robustesse de la plante. Avec une différence fondamentale: le pesticide Goëmar est une technique naturelle. Douze ans de travaux ont été nécessaires pour sa mise au point. «Notre pâte d'algues était, au départ, vendue comme engrais aux arboriculteurs, rappelle Jean-Claude Yvin, directeur de recherche de la société. Nos clients nous assuraient qu'avec nos produits, leurs fruits n'étaient jamais malades et atteignaient la taille commerciale plus vite. Nous avons voulu savoir pourquoi.»
En 1988, Goëmar sollicite le CNRS pour répondre à cette question. Conclusion des chercheurs: les algues contiennent des éliciteurs, longues chaînes moléculaires proches des molécules des champignons. La plante reconnaît cette substance comme un agresseur, et se défend par un signal chimique. C'est une réaction innée, similaire aux anticorps produits chez l'homme par l'inoculation d'un vaccin. «Il existe des stimulateurs de nutrition, de fécondation et de défense», précise Bernard Kloareg. Ces signaux indiquent à la plante: «Germe et pousse, défends-toi contre tel micro-organisme pathogène, ou encore fleuris et fais des fruits.» Le mécanisme de défense s'obtient sans aucune modification chimique des algues. La pâte élaborée par Goëmar provient du seul broyage de laminaires, sans ajout d'autres substances. Depuis quatre ans, ce pesticide naturel est testé, comme tout nouveau traitement phytosanitaire. Les essais en plein champ ont succédé aux analyses d'écotoxicologie. Le 11 octobre dernier, le verdict est tombé: le produit est déclaré bon pour le service. La PME bretonne prévoit que les premiers traitements se feront au printemps prochain, par pulvérisation sur le blé en herbe.
Paru dans L'Express du 24/10/2002